15 de março de 2016

NLS Congress / Congrès de la NLS Dublin 2016 : Minute 1 - 5





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Diagnostiquer - un effort de poésie
Gil Caroz
Belgique

Querelle diagnostique ou phénomène clinique ?

Lors de l’après-midi casuistique de mars 2015(1), Jacques-Alain Miller a souligné́ que le diagnostic n’est plus en vigueur dans une clinique qui prend acte du « tout le monde délire » lacanien. Dans ce contexte, a-t-il ajouté, le diagnostic ne se dit plus, il est sous-entendu. Par ailleurs, ce qui est à mettre en avant est l’interrogatoire clinique en tant qu’il permet de constater le phénomène, le préciser et le décrire très brièvement. Cette description concise est de l’ordre d’une nomination.

Si le clinicien ne peut se passer d’une connaissance du catalogue de la vraie psychiatrie, à distinguer du DSM, sa compétence à décrire le tableau clinique dépend de son talent de bien dire, celui qui lui permet de nommer le phénomène tout en n’effaçant pas le sujet derrière le rapport clinique. Le génie de Clérambault est ici source d’inspiration. Parlant des rapports que Clérambault rédigeait chaque jour par dizaine, Paul Guiraud, qui a préfacé sonŒuvre Psychiatrique, les qualifie de « certificats sur mesures, œuvres d’art autant que de science ». En une ou deux pages, Clérambault savait « épouser sans lacune et sans défaut la personnalité du malade, ne reculant pas devant le néologisme qui était toujours de filiation authentique. On peut dire qu’il a presque créé une école littéraire qui devrait être celle de toutes les administrations(2). »

L’usager du DSM 5 peut se contenter de noter le code 297.1 (F22) pour indiquer que le patient souffre de Delusional disorder. Ensuite, son art se réduit à préciser s’il s’agit du type érotomaniaque, grandiose, de jalousie, de persécution, somatique ou « mixed ». A l’opposé, les descriptions littéraires de Clérambault dans ses courts « certificats » donnent à la personne décrite une consistance vivante. Il ne s’agit pas seulement d’un tableau clinique, mais d’une présence, une épaisseur de corps, nourrie à l’occasion par des citations du patient. Ainsi, on croit entendre la voix d’Amélie, lingère dans une maison religieuse, décrivant l’étrangeté de l’automatisme mental qui la parasite. « Quand on dit « on », dit-elle, on a l’air de parler de deux personnes… Il y a quelque chose qui parle quand il veut, et qui arrête quand il ne parle plus. » Plus loin, Clérambault note concernant Amélie que « son érotisme se manifeste par des sourires et des rougeurs prolongés » ou encore qu’elle « commence et elle arrête des gestes impulsifs. Elle dit tout haut ce qu’elle suppose que nos pensons. » C’est comme si le lecteur participait à l’entretien quand il lit sous la plume de Clérambault : « Une moitié d’elle se fatigant à la fin de l’interrogatoire et lui inspirant à ne pas répondre, une autre moitié, qui nous est favorable, s’irrite, et à haute voix elle rebiffe l’autre : « on veut répondre, laissez, on attendra bien un peu. (3) » On songe ici à L’amante anglaise de Marguerite Duras qui nous permet de toucher du doigt la réticence psychotique à partir de la mise en scène du lien qui s’installe entre l’auteur du crime et l’homme qui l’interroge pour tenter de cerner le trou indicible de sa motivation. Et quand Clérambault conclut de façon laconique « En résumé : Automatisme. Érotisme. Mysticisme. Mégalomanie », ces mots qui appartiennent à une classification universelle, sont transformés en nominations de quelques phénomènes éminemment singuliers du cas d’Amélie.

Les présentations de malades du Dr Lacan témoignent de l’enseignement de Clérambault qu’il reconnaît comme son seul maître en psychiatrie. Telles que nous les dépeint Jacques- Alain Miller (4), elles relèvent de la tragédie grecque, sauf que les participants à la présentation, à la fois chœur et public, sont dans une attente non pas d’une catharsis, mais d’un diagnostic qui serait le dernier mot sur le patient.

Lacan esquive cette attente en faisant un pas de côté. Il arrive à affirmer le diagnostic, et dans le même temps le suspendre et le problématiser pour en prolonger l’étude. Sa référence à la classification est là pour dire la normalité du sujet psychotique qui ne manque pas de reconnaître l’Autre dans l’automatisme mental qui le traverse. Pour le reste, Lacan suit le fil freudien d’une nomination de la jouissance singulière qui l’emporte sur la nomenclature psychiatrique. En effet, Ernst Lanzer est entré dans l’histoire de la psychanalyse sous le nom de L’homme aux rats plutôt que comme un cas de névrose obsessionnelle. De même, on pense à Serguei Constantinovitch Pankejeff comme étant L’homme aux loups avant de considérer le cas de névrose infantile, diagnostic par la suite contesté.

Ainsi, aux côtés de la nosographie psychiatrique qui convient, la psychanalyse tente d’épouser au plus près non seulement la personnalité mais aussi la jouissance sujet. La nomination des phénomènes relève d’une compétence littéraire, plus que scientifique. Rien de mieux pour se former à cet effort de nomination que la cure elle-même. Savoir nommer sa propre jouissance est une condition préalable au bien dire relatif à la nomination de la jouissance de l’autre. Diagnostiquer, c’est faire un effort de poésie.

Texte issu de l’Hebdo-blog n°61, consacré à la prochaine Journée FIPA

(1). BOSQUIN-CAROZ, P. Compte rendu de l’Après-midi casuistique des CPCT et associations apparentées (FIPA).
(2).  de CLERAMBAULT, G., Œuvre psychiatrique, PUF, Paris, 1942.
(3). Ibid. p. 457- 458.
(4). MILLER J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », La conversation d’Arcachon, Paris, Le Seuil, 1997, p. 285-304.



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Subjective and objective in “ordinary psychoses”
Marco Mauas
Israël

I remember that some years ago Jacques-Alain Miller quoted Seneca in his definition of what “classic” means: something you don’t learn or read, but rather you relearn or re-read. Since then, this line is a sort of a good friend of mine. I read the line as an invitation.

1- What is “neurosis”?

This is a question which emerges from JAM’s “Ordinary psychosis revisited”. When Jean-Pierre Deffieux visited us in December, he could ask the question with his own voice. The effect is shocking. When you read Freud’s texts for the first time, especially if you are still slightly inclined to believe in prohibitions or prescriptions or proscriptions of sexuality, it seems very clear what neurosis is about. It consists in a variety of symptoms, none of which is crystal clear from the beginning, but you feel they are there. You didn’t need to question their existence. Now, suddenly, there is a question: what do you mean, “neurosis”? This is not a question which arises outside your framework, on the contrary, it is, if we use the terms of Thomas Kuhn, at the center of your scientific community. If “neurosis” was at a certain point a Freudian paradigm, the very existence of the question: “what is neurosis”, implies a certain change in paradigm. Something has changed, softly but surely. Perhaps it is not a “scientific revolution”, but not so far from it.

Jacques-Alain Miller re-defines neurosis, the good old paradigm, posing a series of “criteria”, as –only for example- a clear cut differentiation among Ego, Id and Superego, and a clearly delineated Superego. I personally needed a re-reading of Freud to try to formulate what could be this “clearly delineated”. Wasn’t it clearly delineated from the beginning?

Well, in his text “The economic problem of masochism”, from 1924, Freud stresses that what he calls Superego:

“…is much a representative of the Id as of the external world. It came into being through the introjection into the Ego of the first objects of the id’s libidinal impulses - namely, the two parents. In this process the relation to those objects was desexualized; it was diverted from its direct sexual aims. Only in this way was it possible for the Oedipus complex to be surmounted. The super-ego retained essential features of the introjected persons - their strength, their severity, their inclination to supervise and to punish. As I have said elsewhere, it is easily conceivable that, thanks to the defusion of instinct which occurs along with this introduction into the ego, the severity was increased. The super-ego - the conscience at work in the ego - may then become harsh, cruel and inexorable against the ego which is in its charge. Kant’s Categorical Imperative is thus the direct heir of the Oedipus complex.

So, a “clearly delineated Superego” is a Superego whose two-faced representation may be clearly noted, one face toward the external world, and the other face toward the Id and its drives. Kant’s categorical imperative is also a no-imperative if it lacks the drive’s severity, a detail that is clearly stressed in Lacan’s “Kant with Sade”.

Jean-Pierre Deffieux, in the opportunity of his seminar in Israel in last December, referred to the question “what is neurosis?”, and answered—among other very important  details  that I will not present here—by a no less surprising rupture of paradigm:  you need to be sure of the presence of desire in the case. He quoted Lacan’s seminar “Desire and its interpretation”, lesson of 24 June 1959: “This desire of the neurotic is something which is only a desire at the horizon of all his behaviour.

2- What is “psychosis”?

In his June 2012 intervention closing the NLS Congress in Tel-Aviv, Eric Laurent brought about this other question. It was so soft that perhaps we didn’t feel what was all about.

At the beginning, he makes one point, and it is what was for Freud the scope of this term:

“The psychoses were understood by Freud as a form of productive discourse, sustaining the effort of subjects who fall wide of any belief in the father and ordinary tragedy, and responding to the clinical field newly systematised by psychiatry.”

From there, he arrives to the relationship that may be established between symptom, singularity and the difficulties and even impasses in classification:

The paradox is that we took on board the word “psychosis” at a time when a new systematicity, a new classification, was emerging in the discourses. Lacan’s teaching turned this approach to psychosis into the indication of a path where, just as we consider the full set of equivocations at the level of the Other rather than the rules, we consider just how much in each case the subject is unclassifiable. Les inclassables de la clinique was a title chosen by Jacques-Alain Miller for one of our congresses. The clinic’s unclassifiable cases mark the effort by which the symptom, beyond groupings according to typical forms, can designate a subject’s singularity.

I say this is situated in the same direction as Lacan's later teaching. When the most elementary questions arise as new, the new paradigm reveals itself as “subjective”, more than objective, including more than ever the psychoanalysts themselves.

It reminds me some lines of the very early Lacan, when in his “variations of the standard treatment”, he writes:

“Thus an external coherence persists in the deviations of analytic experience that surround its axis, with the same rigor with which the shrapnel of a projectile, in dispersing, maintains its ideal trajectory with the center of gravity of the pyramidal shape it traces out.

The condition of the misunderstanding which, as I noted above, obstructs psychoanalysis path to recognition thus turns out to be redoubled by a misrecognition internal to its own movement.”


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Puissance de l'image
Réginald Blanchet
Grèce

« Que resterait-il de l’humanité sans la psychose ? »
(Jacques-Alain Miller, Barcelone février 2005)

Il n’est plus inhabituel désormais, depuis que le clinicien d’orientation lacanienne s’en est avisé, que des sujets qui ont recours à son office fassent état d’un nouage RSI constitué autrement qu’au Nom-du-Père. Il arrive qu’un tel nouage donne la prévalence à l’imaginaire, et que le symptôme qui, au titre de quatrième rond, fait tenir le nouage des trois autres, attienne essentiellement à l’imaginaire. Il y aurait lieu de parler ici strictement d’une causalité imaginaire du sujet au sens où capturé par une image il s’en soutient effectivement. Une telle causalité fait sa psychose ordinaire.
Il arrive que le sujet qui se soutient ainsi de l’imaginaire se présente comme un sujet mimétique. C’est le sujet « comme si » dont Lacan dira qu’il est entré dans l’ordre signifiant « par une sorte d’imitation extérieure ». Le sujet ici se fait image, image d’un alter ego. Cette image ne fait pas que le capturer : elle le constitue. Le sujet ici est pur mirage : il se mire dans l’autre. De façon plus générale ce rapport en miroir avec l’autre s’étend au monde tout entier. Le sujet se donne pour spectateur, « spectateur total » aux dires d’un patient. Engagé lui-même dans le spectacle du monde comme élément du spectacle il donne l’apparence de son intégration dans le discours commun voire dans le lien social. Ceci fait sa normalité. Elle est essentiellement de semblant. Son rapport aux réalisations effectives, aux engagements personnels qui en appelleraient à son énonciation propre, le dénonce. 

Il apparaît dès lors que le sujet de la mimesis est aussi un sujet en trompe-l’œil. C’est un sujet qui se camoufle, qui se fonde dans la masse et qui prend, tel le caméléon, les couleurs du monde ambiant et le pli de ses valeurs. Ici, le moi idéal mais aussi les idéaux du sujet sont d’emprunt. Le sujet ne les assume pas lui-même, il en endosse les accoutrements. L’image en quoi il se fait consister voile son vide subjectif, et son camouflage son être regardé. C’est aussi sa façon de se prémunir du regard qui le viserait, lui, tout spécialement. C’est sa manière de faire avec l’objet regard dont il n’est pas séparé. Mais de se lover sous les semblants de son autre pour s’y diluer ne suffit pas toujours : par instants tel patient se percevait comme regardé de partout. 

C’est dire que l’élection d’un semblable comme alter ego avec qui se soutenir dans un tête-à-tête spéculaire vise à loger le regard omnivoyant et à le limiter. L’alter ego fonctionne de la sorte comme un dompte-regard (Lacan) qui préserve le sujet du surgissement de l’objet désarrimé du symbolique, soit donc l’objet qui équivaut à son abolition de sujet, à sa réduction à l’état d’être joui par l’Autre. Car le regard de son semblable lui renvoie une image. Elle est par construction image idéale qui le préserve de sa qualité d’objet de jouissance. L’image voile ici l’objet et préserve le sujet de l’angoisse causée par l’objet pulsionnel qui n’est plus manque mais instance du réel.

Mais si l’image captive c’est parce que la jouissance elle-même capture : sur un mode assenti ou, au contraire, défensif du sujet. La puissance de l’image tient à l’objet a qui organise le champ scopique. Lorsque le sujet se constitue comme sujet de la pulsion scopique régulée avant tout par l’image, par le symptôme imaginaire, il y a lieu d’inférer une assise symbolique défaillante et un rapport à la jouissance non phallicisé. Celui-ci s’organiserait dès lors selon l’algorithme a /Φ0 au lieu du rapport canonique a /. Ce que montrent déjà la dimension persécutrice du regard et l’instabilité du nouage moyennant le symptôme imaginaire. La tendance à la mélancolisation du sujet réduit à l’état de déchet en sa qualité d’objet joui dans le regard de l’Autre est encore l’effet de son rapport à un corps qui n’est pas fait de l’incorporation du symbolique. En l’absence des phénomènes plus aisément repérables liés à P0  et qui manifestent un désordre essentiel de l’ordre symbolique, il conviendra d’établir au plus juste le rapport du sujet à l’imaginaire qui, souvent, assure à ce dernier l’apparence de la normalité, c’est-à-dire de la banalité commune - ce qui ne veut pas dire névrotique - quand il n’est que le masque d’un rapport défensif au réel de la jouissance désarrimée. C’est encore ce qui fait l’ordinaire de la psychose et son signe discret souvent.


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Ordinary Psychosis and Addiction in the Postmodern Era
Thomas Svolos
United States

Starting from the premise that we are in a new social era, which we can call postmodernism, we can observe two major clinical phenomena. It was psychoanalysis that formulated the first major phenomenon with the name, from J.-A. Miller in 1998, of ordinary psychosis. I would observe that the other social and psychiatric fields don’t know what to say about this – books on things like the manic world of today, and the NIMH researchers and clinicians are arguing about psychiatric diagnosis. Psychoanalysis, in contrast, has worked for 20 years now with ordinary psychosis, putting it to use as a concrete response to what we find in the analytic experience.

The second major clinical phenomenon is addiction – whose importance is no doubt recognized in the social field, the psychiatric field and in psychoanalysis.

So, I pose a question: what, if any, relationship or connection exists between these two different clinical phenomena in our current social era? My wager here is that one answer to this question might be developed following Lacan’s graph of sexuation.

I would start with an observation from the upper half of the graphs. I argue that we can characterize the pre-postmodern era as falling within a masculine position. The paternal imago was strong and the world was phallicized. All of x was under the function of the phallus. Thus, this world was a realm of neurosis, in the classical sense. Then, of course, we have the exception. Now, much has been made in the exegesis of the graph of the position of the exception as the obscene father (from Freud). But, why not look at this position differently? The classical Lacanian notion of psychosis, of Schreberian psychosis, is yet another articulation of this position – an exceptional x that does not fall under the dominion of the phallus. Thus, we have a clinic with clear boundaries organized around the masculine position with regard to the sexual non-relation – a clinic of neurosis or exceptional psychosis, phallus or no phallus.

As for our postmodern era: this can be structured around the feminine position. We might start with the observation that there does not exist an x that is not subject to the phallic function, that is not signified. We might read this at a social level as the Marxist observation that there is no limit now to commodification and the extension of the value system that derives from capitalism to all domains of subjective experience (capital as limitless, all about flows, liquid, etc.).

Or, at a subjective level, we might say that there is no longer the position or the fantasy of exception. But, the phallic function of all x is not complete, it is not all. And, here is where I suggest we might pinpoint both ordinary psychosis and addiction.

J.-A Miller identified three things for the clinician to look out for in ordinary psychosis: disturbance of the body (eg, the body event); disturbance in the social relation; or, a disturbance in the innermost sense of being. I suggest that these might be understood, in a sense, as an incomplete or not all functioning of the phallus with regard to the body (not fully mortified by discourse), social discourse (not fully organized by the phallus), or sense of being (the master signifier not fully in place). In contrast with the pre-postmodern masculine position, where it is all or nothing, here in the postmodern on the feminine side, it is a matter of not all, for all.

What is interesting to me is to think of what we might say about addiction in this context. One hypothesis, which I would propose, is that if ordinary psychosis is an articulation of the subjective position, addiction is the staging of a subject’s relation with the object a. And here we can go back to Miller's three themes, which are indeed three of the ways of addiction: for body effects, the experience of intoxication; for an effect in social relations – to act differently around others; or, to change one's innermost sense of being ("I only feel myself when I use" is a frequent refrain). For Lacan, addiction is defined as detachment from the phallus. But, for some, the detachment is not absolute or complete (though, I think we can in fact articulate a Schreberian addiction – da logic of addiction as exception), but not all for the ordinary psychotic. Thus, I suggest that, in the postmodern era, following the logic of the feminine position with regard to the sexual nonrelation, ordinary psychosis and addiction might in fact have this logical link.


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De fait
Claudia Iddan
Israël

Depuis S. Freud, les signes discrets, les petits détails du discours du parlêtre ou ceux de fait orientent la clinique. Telles de petites boussoles, ils indiquent la direction de la cure à l'analyste. Pour exemple, le regard jouissant de l’Homme aux rats qui, au moment de raconter la torture terrifiante, avait donné son nom propre, sa trace singulière.

Le domaine de l’art représente l'une des sources d’inspiration dans la recherche et l’éclairage de questions fondamentales du psychisme, ainsi que de certains signes discrets qui sont à même de révéler une structure. Je prendrai ici référence à l’art moderne, plus précisément au body-art, où la performance exhibe crûment le corps humain, sa matérialité, dans une tentative de dévoiler le réel et d’élever sa deshumanisation au rang d’œuvre d’art. La mutilation corporelle en constitue la plupart des fois la voie préférée.

La performeuse Marina Abramovic se présente comme « la grand-mère de la performance ». Pour elle, les performances sont des actions de vie, pas des spectacles, et leur « fondement se trouve, selon elle, dans la libération au moyen de la douleur : dans chaque cérémonie traditionnelle ou rituelle, les gens essaient de dépasser la limite entre la douleur physique et l’élévation de l’esprit afin de contrôler le corps et casser les chaînes de la peur. »

Dans toutes ses performances, c'est soit le public, soit elle-même qui marque son corps. J’ai entendu dernièrement un texte présenté par Nassia Linardou-Blanchet dans lequel elle cite l’exemple où la performeuse avait marqué sur son ventre l’étoile communiste et s’est laissée saigner jusqu'à l’évanouissement. Il convient de rappeler ici que ses parents étaient des partisans, ayant lutté aux côtés de Tito. La douleur physique remplit ici une double fonction : casser toutes les chaînes symboliques et arriver à s’approprier le corps en le contrôlant.

Ces marques sur le corps, à quoi correspondent-elles ?

A ce sujet, J.-A. Miller fait le commentaire suivant : « les piercings de bijoux incrustés sont à la mode aujourd’hui. Les tatouages aussi. La mode s’est clairement inspirée de la psychose ordinaire. Certains usages des tatouages sont un critère de la psychose ordinaire, lorsque vous sentez que, pour le sujet, c’est une manière de s’attacher lui-même à son corps. Cet élément supplémentaire fait office de Nom-du-Père. Un tatouage peut être un Nom-du-Père dans la relation que le sujet a avec son corps. »[1]

Je propose de penser ce type de marques sur le corps comme une inscription réelle, une Inscription de facto, de fait, qui « fait office de Nom-du-Père et s'inscrit directement sur le corps sans passer par le symbolique : une simili-castration en quelque sorte. » On connaît, dans la clinique, ces cas de psychoses où le sujet introduit la castration de fait par la coupure du membre viril.

Si l'on revient au body-art, à la performance, l’action exposée peut fonctionner comme sinthome en transformant le corps qui se défait en œuvre d’art.

L’idée d’une opération « de fait » trouve sa place dans le tout dernier enseignement de J. Lacan. Avec l’introduction du nœud borroméen, les trois registres, imaginaire, symbolique et réel, sont équivalents, ont le même poids. Cela conduit, bien entendu, à des changements qui mettent en relief, d’un côté la place du symptôme-sinthome et, de l’autre, celle du corps. L'un de ces changements est le passage de la fonction « une » du Nom-du-Père à la « multiplicité » de versions du père, où chaque version opère sur un registre différent. Dans le séminaire Le Sinthome, le mécanisme de la Verwerfung, c'est-à-dire la forclusion du Nom-du-père, adopte une forme supplémentaire et nouvelle qui opère plutôt sur le corps, plutôt sur l’imaginaire que sur le symbolique. Lacan l’intitule Verwerfung de fait [2]. James Joyce constitue l’exemple paradigmatique de la fonction « de cette démission paternelle, de cette Verwerfung de fait, dans le fait que Joyce se soit senti impérieusement appelé… » On sait, avec J. Lacan, que cet écrivain réussit à se faire un nom propre et à l’élever à la dignité d’un Ego qui donne une consistance à son corps.

La Verwerfung de fait est liée à la démission paternelle, à une carence qui, bien entendu, active différents types de réponse en relation avec le corps. Je voudrais proposer l’Inscription de fait du côté du sujet comme une réponse possible qui fait aussi écho au dé-fait paternel.


[1] J.A. Miller, Effet retour sur la psychose ordinaire, Retour sur la psychose ordinaire, Quarto 94-95, p. 46.
[2] J. Lacan, Livre XXIII Le Sinthome, Editions du Seuil, Paris, p. 89.

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