18 de outubro de 2009

[ecf-messager] Journal des Journées N°42

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JOURNAL DES JOURNÉES

N° 42

le vendredi 16 octobre 2009, édition de 14h 37






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Jacques-Alain Miller : GRABBING THE PASSER BY


Notre collègue Russell Grigg, de Melbourne, donnera une conférence sur le thème « Du monothéisme au fondamentalisme » rue Huysmans, mercredi prochain, à 21h 30, sous ma présidence.

Cette conférence inaugurera une série que nous avons, Russell et moi, baptisée « Grabbing the passer by », ce qui veut dire quelque chose comme : « L’attraper au vol ». Il s’agira en effet de profiter de la présence à Paris de collègues de l’étranger pour les convaincre de nous donner une conférence. Il est proprement incroyable que nous n’ayons pas déjà institué ça depuis de longues années. L’autisme parisien, ou français, a quelque chose de révulsant, et c’est un miracle que nos collègues étrangers n’aient pas encore claqué la porte au nez des butors et des malappris, et des incurieux, que nous sommes. L’idée du cher Villon qu’« il n’est bon bec que de Paris », peut-être justifiée jadis - c’est à voir - est aujourd’hui singulièrement désuète. Continuez comme ça, mes amis, et le 21e siècle vous passera sous le nez.

Hegel, ou plutôt certains de ses commentateurs allumés, pensaient que plus rien de vraiment important n’avait eu lieu depuis que GWF avait vu passer l’Esprit du monde sur un cheval à Iéna (la ville de Thuringe, pas la place d’Iéna, sis à Paris 16e) en la personne de Napoléon. Fin de l’Histoire : « Rideau ! Eteignez les lampions ! » Voulons-nous croire que, depuis Lacan (1901-1981), plus rien n’arrive ? que le 9-9-81, le cœur du monde a cessé de battre ? que tout a déjà été dit et redit, de Freud à Lacan ? que nous sommes les « mouches du coche » (cf. Dominique Miller) de l’équipée psychanalytique, ou des « cadavres vivants » (cf. Philippe Lacadée) dans le placard de l’Histoire ?

Pas gai, tout ça, et singulièrement erroné, alors que la science accumule tous les jours du savoir à une vitesse exponentielle, et dans des proportions dont la croissance des factorielles peut donner une idée approchée. Tout ça n’est rien, sans doute, ou pas grand chose, au gré d’un Heidegger, démontrant, montrant, que « l’oubli de l’Etre » a commencé dès après Parménide et Héraclite, et que, depuis Descartes en particulier, une machine s’est mise en marche qui développe irrésistiblement ses fâcheuses, mais nécessaires conséquences. Il ouvre tous les placards (les philosophies), il trouve toujours la même assiette (selon l’expression favorite de mon bon maître Althusser).

Je vois la psychanalyse comme tiraillée, ou médiane, ou médiatrice, entre la science et l’existence : non dupe du mouvement de la science, mais n’en perdant pas une ; non dupe de l’inertie de « la pensée de l’Etre », anthropologie déguisée, mais y trouvant un recul utile où loger l’inconscient. Bon, ce n’est pas vraiment ça, mais pas le temps de fignoler, vous voyez l’idée. L’idée, c’est : soyez curieux, au sens de : ayez de la curiosité. Sinon, l’analyse, couic !

Premier cercle : les collègues étrangers. Deuxième : les extérieurs qui peuvent nous cultiver, nous intéresser : de Stern à Prost. Troisième : les extra-terrestres : si les petits hommes verts débarquent, qu’ils viennent d’abord chez nous, en sachant qu’ils seront bien reçus. Logiquement, les Martiens, s’ils parlent, font des mathématiques, et s’analysent (s’ils ont déjà eu leur Freud). Bref…

L’entrée de la rue Huysmans sera libre. Francesca Biagi-Chai, Secrétaire de l’Ecole, et Marie-Claude Sureau, responsable de la Bibliothèque, sont les bons anges de cette réunion, et je les en remercie. Ce sera l’inauguration d’une longue série, qui pourrait ensuite être prise en charge par l’Ecole.

Si Graciela Brodsky est encore là le mercredi d’après les Journées, elle pourrait donner la seconde conférence de « Grabbing ».

Nathalie Georges pourrait être intéressée à publier ces conférences dans la revue. Etc.

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Ce soir, je serai donc sur France 2, émission « Vous aurez le dernier mot », avec Giesbert, du « Point », un quart d’heure avant minuit m’a-t-on dit (à vérifier).

Sur Jean Sarkozy, on me dit que droite et gauche (et centre) confondus tombent à bras raccourcis. Cela, je l’avoue, me donne envie de prendre le contre-pied, pensant comme le mathématicien Hardy (voir plus bas) que « It is never worth a first class man's time to express a majority opinion. By definition, there are plenty of others to do that ».

Mon sophisme : le pouvoir, c’est le Nom-du-Père, donc la famille. Pas d’exemple qu’un détenteur de pouvoir n’ait pas avancé les affaires de sa famille, de ses fils et filles (de sang ou spirituels), de ses maîtresses. Une seule exception dans l’histoire du monde : l’Incorruptible, le héros de mes 13 ans, Robespierre : pas d’épouse, pas d’enfants, et il ne baisait pas. Dans ces conditions…



Abel se dévoile

par Philippe Hellebois


Abel, « le fameux Abel », s'amuse bien à la fête du Journal des Journées.

Ses cibles, très charmantes, se surpassent et changent son humeur.

Elles s'imaginent, et semblent ne pas en démordre, qu'Abel est Jam.

Abel danse et frissonne...

Il a indéniablement fait mouche - tous les mots mènent à Jam- mais a-t-il visé juste?
Pas sûr !

Il est modeste, et se demande plutôt s'il ne pousse pas le mimétisme un peu loin en écrivant comme vous.

Est-ce un voleur?

S'est-il découvert un talent de pasticheur?

Identification à l'analyste, mais originale?

Il goûte l'accueil sympathique d'une inconnue (de lui), Emmanuelle Garcia, et la remarque très fine de Nathalie Charraud, relevant qu'Abel a le goût du vide. Bien vu !

Quoi qu'il en soit, il ne peut plus laisser son sinthome n'en faire qu'à sa tête, et squatter cet immeuble de la rue d'Assas où loge un touché par la grâce, favori des muses, comblé d'éloges, mais qui doit être préservé de la noyade.

Comme dit qui? parler est une folie, et se taire est impossible.

Le choix est donc facile, et j'avoue – non, je proclame devant nos bataillons en froufrou, le reste de l'armée, et la multitude de nos lecteurs, sans oublier les fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur veillant à notre utilité publique, qu'Abel c'est moi, et pas Jam.


A propos des mathématiques pures (suite)

par Olivier Ripoll


Dans le numéro 40 du JJ, le texte de Joachim Lebovits m’a interpellé. En effet, avant de travailler dans le milieu des mathématiques financières, j’étais chercheur en géométrie, branche des mathématiques, « pures ».

Je serais très heureux de pouvoir défendre avec Joachim l’unicité des mathématiques, de pouvoir dire que la mathématique est une et applicable, ne serait-ce que pour effacer mon image de chercheur, de « doux rêveur », loin des réalités et du pragmatisme. Malheureusement, je n’y crois pas, et je perçois même dans ce mouvement une possible dérive.

Bien sûr, je ne conteste pas que l’adjectif « pures » est blessant, et très mal choisi. Mais je défendrais volontiers la différence : il existe deux types de mathématiques, qu’importe le nom. Et ce qui me fait réagir, c’est sans doute cette phrase, risquée : « Il n’existe pas de branches des mathématiques dépourvues d’applications. » Le risque, c’est l’au-moins-une qui en serait dépourvue, n’est ce pas ? Il faut donc lire qu’avec le temps, toute théorie trouvera une application. C’est assez irréfutable, ou non vérifiable. C’est pourquoi je dis que je ne le crois pas, étant incapable de le montrer, et pour cause.

Je ne doute pas qu’il existe des mathématiques applicables, des théories qui trouveront chaussures à leurs pieds, disons. Mais ne peut-on concevoir que certaines théories ne trouveront pas un support dans le monde physique ? N’interagissent pas du tout avec lui ? J’aurais tendance, par provocation, à dire que l’application des mathématiques est plutôt de l’ordre de l’accident, de la rencontre… et rare.

D’ailleurs, je crois qu’on ne peut pas dire avec Joachim que «les mathématiques reçoivent des apports de toutes parts, et interagissent avec toutes les disciplines scientifiques ». Il existe encore des mathématiques qui ne peuvent se faire « qu’à la Kant », sans le recours de l’expérience, comme les théories les plus abstraites de la géométrie algébrique post-Grothendieck, ce « pays dont on ne connaîtrait que le nom » comme dit Cartier. J’aurais tendance à dire que ces mathématiques non appliquées à ce jour, pourraient être appelées « mathématiques pures », ou « fondamentales », au sens de fondement, ou « théoriques », pourquoi pas ? Mais finalement, pourquoi s’embêter avec ces querelles de clochers, cette rivalité héritée de l’omniprésence de Bourbaki, et de sa défiance injustifiée face aux probabilistes, par exemple ?

Si en effet, Jacobi parlait, sans doute un peu euphorique, de « l’honneur de l’esprit humain » comme but des sciences, et des mathématiques en particulier, c’était en opposition à Fourier, qui n’y voyait d’intérêt que dans « l’utilité publique ». Et c’est bien dans un courant utilitariste, porté par Diderot par exemple, que les mathématiques pures ont toujours été attaquées. Dans la Chine de Mao, par exemple, les mathématiques pures étaient proscrites, au profit des mathématiques appliquées utilisables immédiatement, au service du peuple. Cela a bien changé, d’ailleurs.

C’est là le danger qui guette la recherche. A vouloir unifier les mathématiques, à dire que les mathématiques sont toujours applicables, le risque n’est-il pas de ne pas financer des recherches dont l’application semble bien trop lointaine ? C’est déjà le cas en physique théorique. On risque fort de renoncer à ce qui semble ne servir à rien, ce qui ne donne pas de résultats immédiats. L’Université recrute déjà deux fois plus de chercheurs en math appliquées qu’en math pures, il ne manque plus qu’un évaluateur dans ce tableau, tenant la craie.

Voilà pourquoi elle est si cruciale, l’existence de ces mathématiques pures, celles qui ne s’appliquent pas et qui ne servent à rien, pour le moment, et peut-être pour toujours. Les mathématiques pures sont peut-être un mythe, soit, mais peut-être faut-il le laisser vivre.



Erratum : La note 1 du texte sur les mathématiques pures que je vous avais envoyé a sauté. Du coup, le brave mathématicien anglais Hardy est sensé avoir écrit The Mathematician’s Apology en 19 401. Espérons que les lecteurs qui le souhaitent n'aient pas à attendre ce temps si lointain pour le lire! — Joachim


Erratum de ton : Je suis étonné que tu parles avec une telle désinvolture / supériorité de Hardy, alors que « The Apology », qui est un si joli livre, accessible par tous, a été une oeuvre de référence pour plusieurs générations sur « comment ça pense, un mathématicien ». Le personnage de Ramanujan est touchant, son couple avec Hardy fascinant : un peu Laurel et Hardy justement , Robinson et Vendredi ; Edison et l’Eve future ;Higgins et Eliza ;le côté « J’ai épousé une sorcière » ; vaguement homo dans mon souvenir, en tout bien tout honneur ; tellement british, Kipling, l’Empire, « les 7 piliers de la sagesse » ; etc. Par ailleurs, autant que je sache, et bien que là, je cale, c’est un grand de la théorie des nombres. J’ai son « Introduction à la théorie des nombres », que Lacan avait aussi, mais c’est trop fort pour moi.

PS. Je vais sur Wiki en anglais : très bon article pour un béotien ; j’apprends que Hardy était en effet homo, mais abstinent ; il a dit de sa relation avec l’Indien : « le seul épisode romantique de ma vie » ; relation avec Erdös ; tenait Dieu pour son ennemi personnel ; anti « majorité » : « It is never worth a first class man's time to express a majority opinion. By definition, there are plenty of others to do that » ; lui croyait aux maths pures : « Nothing I have ever done is of the slightest practical use » ; a dit à Russell : « If I could prove by logic that you would die in five minutes, I should be sorry you were going to die, but my sorrow would be very much mitigated by pleasure in the proof ». Pas exactement « le brave mathématicien anglais Hardy », tu n’es pas d’accord ?


Hardy sur les maths pures : « "Mathematicians may be justified in rejoicing that there is one science at any rate, and that their own, whose very remoteness from ordinary human activities should keep it gentle and clean." Hardy also rejected as a "delusion" the belief that the difference between pure and applied mathematics had anything to do with their utility. Hardy regards as "pure" the kinds of mathematics that are independent of the physical world, but also considers some "applied" mathematicians, such as the physicists Maxwell and Einstein, to be among the "real" mathematicians, whose work "has permanent aesthetic value" and "is eternal because the best of it may, like the best literature, continue to cause intense emotional satisfaction to thousands of people after thousands of years." Although he admitted that what he called "real" mathematics may someday become useful, he asserted that, at the time in which the Apology was written, only the "dull and elementary parts" of either pure or applied mathematics could "work for good or ill." »


Tiens, je suis comme lui : « He was an extremely kind-hearted man, who could not bear any of his pupils to fail in their researches. »


De l’institution au divan

par Rodolphe Adam

Après avoir consulté un psychologue pour un problème d’alcool dans une institution pendant un an, une femme de 49 ans fait part de sa gène à continuer à être reçue dans ce lieu. Quelque chose l’incommode à venir déposer son dire gratuitement dans cet endroit où chacun est accueilli pour le même monosymptôme. Ce dont elle tente de se séparer lui fait retour dans la salle d’attente par l’impression indéniable d’un « tous pareil ». Quelque chose tourne en rond dans son énonciation et lui semble provenir de là. Le psychologue, analyste par ailleurs, sensible à cette résistance d’un genre particulier, lui propose de poursuivre dans un lieu autre. « C’est moins neutre… » furent ses premiers mots dans le cabinet de l’analyste.

Cette demande, pas fréquente mais pas si rare, doit interroger. Quelle est cette « neutralité » de l’institution spécialisée dans le problème qui l’amène, et qui fit éprouver à ce sujet cette demande de singularité ? Ce frein à sa parole est l’effet d’un discours qui désigne ces sujets par un « trouble », trouble de santé publique, bien sûr. Quelque chose d’une aliénation discrète mais palpable se faisait aussi sentir d’être pris dans un circuit du don. Une bascule s’est donc opérée pour elle dans sa conception de son mal : d’une « maladie » objectivante que des spécialistes vont gratuitement prendre en charge, en un symptôme qui la concerne intimement et dont elle veut désormais porter elle-même le coût. « Je ne suis pas malade, je dois payer pour nos entretiens ». J’étais bien d’accord.

Le passage au cabinet révéla alors un phénomène de transformation dans l’ordre de la parole. Un matériel signifiant nouveau surgit immédiatement d’une manière surprenante sous la forme de souvenirs laissés jusque là dans les franges du refoulement : un traumatisme sexuel à l’adolescence qu’une mauvaise rencontre à provoqué et dans lequel elle n’était pas pour rien. De même, son ancien mari dont elle portait l’éternel deuil par son adoration, apparut comme pas si idéal. L’analyse s’enclencha véritablement à ce moment là. Le paiement, les deux rencontres par semaine, firent disparaître la terreur de perdre son second mari atteint d’une maladie grave et pour lequel elle se dévouait perpétuellement sans compter. Une expérience de solitude radicale et ancienne se dénuda pour mettre à jour la question de son être-en-trop, jamais accueilli dans le discours de l’Autre.

Cette modification subjective dû au changement de lieu et de discours est une expérience clinique étonnamment plusieurs fois vérifiée, si ce n’est systématiquement. Il est effectivement basique de constater qu’une demande faite pour un même symptôme n’entraîne absolument pas le même dépliage selon qu’il s’adresse dans un lieu de soin gratuit ou chez l’analyste. Il n’empêche que la gratuité fait question au clinicien orienté par la psychanalyse pour l’orientation de cette demande et son traitement.

Ce phénomène clinique n’est sûrement pas généralisable, surtout dans ces établissements spécifiques des pathologies de l’objet où la question de l’aliénation à la parole est éminemment problématique, où l’identification communautaire est souvent recherchée, parfois salvatrice, où la souffrance propre à la dite grande précarité est prégnante. Seulement, au vu des résultats, il apparaît comme logique de soutenir, voire de susciter ces demandes singulières que l’éthique de la psychanalyse seule peut rendre à la dignité de leur devenir.



LETTRES ET MESSAGES


Jean-Daniel Matet : Á l’école du blog

En observant ce qui se déploie dans le Journal des Journées, premier blog de notre Ecole, on voit se nouer deux éléments : ce qui fait le quotidien de l’expérience, dans sa dimension la plus concrète – comment reçoit-on 1800 personnes pendant deux jours dans un Palais des Congrès ? – et la mise à ciel ouvert d’une question souvent implicite, ou discrètement tue – comment devient-on psychanalyste ?

La structure de nouage du plus-un et du cartel, collectif minimum - structure inventée par Lacan, et congruente avec son Ecole - nous donne des pistes. Toutefois, un cartel à 1800, ce n’est pas raisonnable, et il ne serait pas heureux de filer trop avant la métaphore. Gardons toutefois la puissance de la fonction « plus-une », comme l’évoque JAM dans son texte de la Lettre Mensuelle sur « l’élaboration provoquée ».

Le plus-un opère en visant au-delà de lui-même : Lacan, Freud, la psychanalyse. Il prend sur lui la division subjective des cartellisants, et les conduit à mettre au travail leurs S1 - jusqu’au bourdonnement des 108 interventions, véritable essaim.

De même, les membres de l’ECF font Ecole quand la perspective épistémique prend le pas sur les préoccupations associatives, quand l’histoire de la psychanalyse cède le pas à « l’hystorisation » de ses acteurs, quand le travail-de-transfert des uns et des autres sert une organisation efficace, mais qui ne se dévoie pas dans un fonctionnement obsessionnel. Nous apprenons alors du mathématicien, du philosophe, du linguiste, du psychologue, du médecin, etc., à mieux lire le réel. Et la psychanalyse peut ainsi anticiper sur les mouvements de son temps (sur la dépression, sur l’évaluation, etc.).

Merci au Journal des Journées d’incarner cette orientation. Que Jacques-Alain Miller poursuive son effort dans la perspective des Journées à venir, qu’il prolonge ainsi ce qui apparaît comme un véritable mouvement. Si je suis élu président de l’Ecole, je m’emploierai à ce que cette orientation trouve ses prolongements dans l’institution.


Carole La Sagna : Les mannequins-mathèmes

Il y a eu une polémique en début de semaine, que votre distinction du paradis des mathèmes et du paradis des corps (du rapport sexuel), dans le formidable N°39 des JJ, permet d’éclairer.

De nouveau, la maigreur des mannequins pose la question de : faut-il légiférer ou pas (sur un poids minimal sur les podiums des défilés de haute couture) ? L’Espagne le fait. A Paris, Karl Lagerfeld le dit clair et net : pas question.

En effet, il trouve absurde le débat sur la trop grande maigreur des mannequins, et souligne que la haute couture est un monde de « rêves et d’illusions ». En réponse à un magazine qui avait décidé de publier des photos de femmes "réelles" (celles du monde des corps), il déclare : « Personne ne veut voir des femmes avec des formes ».

C'est la perspective de l'anorexie qui dicte ces prises de positions. Mais K.L. affirme : "Les anorexiques ne sont pas maigres parce qu'elles veulent devenir mannequins ..." Et c’est assez vrai.

La grande fille mince des podiums, n'est-elle pas le mathème d'une fille ? N’est-ce pas une fille qui appartient au Paradis des mathèmes ?

Elle est une essence, une idée de la beauté. Elle porte la beauté sur ses épaules, plus qu'elle ne la représente. Elle n'est pas cause, mais effet de ce qui se véhicule dans nos sociétés concernant les filles et l'idéal, les filles et leur rapport au signifiant. Nous sommes ici à l'opposé des paradis des corps que vous décrivez, et au nom de quoi la haut couture et ses défilés sont parfois mis en cause.

Bref, KL. semble bien distinguer, comme vous, les deux Paradis !


Jean-Pierre Klotz : « Pousse-Rapière »

Blaise de Monluc, l'auteur des Commentaires, chef du parti catholique dans le Sud-Ouest lors des guerres de religion, résidait à St-Puy, tout près de chez moi dans le Gers. Son château est aujourd'hui une propriété viticole où on a inventé le "Pousse-rapière", vif apéritif gascon qui fouette et enchante. Vous êtes un formidable "pousse-rapière", un d'Artagnan qui envoie valser les Gardes du Cardinal, avec le souci de ne pas (mal) finir comme lui à Maastricht.

Vive l'ECF 3, que vous remettez en selle, qui donne vraiment envie de remonter à cheval. Je trouve extrêmement roboratif votre papier de jeudi, moi qui suis fan de Bibi Fricotin depuis les années cinquante malgré l'oubli (incluant le mien), même si plutôt identifié à Razibus Zouzou, le compagnon de facéties et d'aventures.





Jean-Pierre Deffieux : Une femme de 50 ans

Ariane a la cinquantaine. Après 30 ans de mariage, elle a quitté son mari. Elle l’avait rencontré à 17 ans, son grand amour, son premier amour.

C’est la sexualité qui les a séparés, dit elle. Pour consentir à certaines demandes sexuelles, elle s’alcoolisait, de plus en plus. Pour cesser de boire, elle l’a quitté.

Mais depuis, elle qui pensait trouver la liberté, est malheureuse, elle ne s’intéresse plus à grand chose, elle a des idées noires, et elle rêve de lui toutes les nuits : il l’a met « dans l’embarras », il l’humilie, elle le voit avec sa nouvelle compagne, et elle est folle de jalousie.

Il est vrai qu’à plusieurs reprises quand ils sortaient ensemble, il est rentré avec une autre femme, cet homme grand séducteur. Elle ne disait rien, car il fallait bien qu’il fasse les expériences qu’il n’avait pas pu faire à l’adolescence, puisque leur adolescence, ils l’avaient passée ensemble. Elle-même, à deux reprises, a eu des aventures avec de jeunes subordonnés de 25 ans, dans le cadre de son métier policier, l’arme à la ceinture.

Un rêve récent : elle se promène avec un ballon autour de la taille, elle ressent une grande liberté… mais un chat se met à la poursuivre pour crever le ballon.

Un ballon, quel ballon ? Le ballon de la maternité qu’elle a connu à deux reprises, le « ballon » qu’elle buvait avant l’acte sexuel, la balle-on, qu’elle a dans l’arme qu’elle porte sur elle ?

Sous transfert, son talent d’interprète est remarquable, et c’est à la vitesse grand V, qu’elle va donner à sa vie de femme un nouveau tournant.

Lequel ? Personne ne le sait, même pas elle.


Agnès Aflalo : La cour des miracles

Je vous remercie de votre proposition, et puisque la providence sourit aux audacieux, je l’accepte volontiers.

Votre description des théologiens et des mystiques de notre champ est assez amusante. Ce serait formidable d’en allonger la série grâce à cette rubrique des « affaires théologiques », pour en faire une vraie cours des miracles.

À propos de Marie, je me souviens en effet que le premier Colloque Marie de la Trinité avait lieu dans un couvent dominicain près de Lyon, le même jour que le premier Forum Psy à Paris en 2003. Je vous dois aussi cette rencontre, et je vous en suis reconnaissante.

Quelques psychanalystes ont voulu faire perdre la tête à Marie de la Trinité. D’autres ont cette tentation encore aujourd’hui. Sa rencontre avec Lacan l’a sauvée, et d’abord d’elle-même (la lobotomie n’a pas eu lieu, même si elle n’a pas résisté, contre l’avis de Lacan, aux délicieux supplices de l’enfer asilaire pour quelques jours). Une fois l’étau du silence un peu desserré -il la vouait à l’ordre fondé par Sainte Thérèse d’Avila avec qui elle ne manque pas d’affinité - elle est devenue psychothérapeute. De son exil, elle a su faire invention, au point de devancer de cinquante ans les innovations papales.

Marie est une sœur de divan, est-ce pour autant excessif de dire que la rencontre avec la psychanalyse de cette femme d’exception a été providentielle ? La rigueur de son amour divin a enseigné Lacan.

Et nous, ne peut-elle aussi nous enseigner sur la question de savoir comment on devient psychanalyste au XXI e siècle, siècle religieux et mystique ?



Pauline Prost : « A nous deux... Freud et moi »

« A le dénoncer, je le renforce - de le normer, soit de le perfectionner ». J.Lacan, Télévision, p.26.

Que penser du projet de M. Onfray: passer une année en tête à tête avec Freud, pour mettre en pièces une oeuvre dont l'importance se mesure à l'océan de commentaires, d'interprétations et de critiques qu'elle ne cesse d'inspirer? Un an, c'est long, et c'est prendre un auteur très au sérieux que de s'en faire un adversaire; se croire son égal, en faire son partenaire, c'est entrer dans son discours, accepter son vocabulaire, suivre le fil de ses arguments, se faire son interprète, dans la dénégation.

Transfert négatif dont Lacan notait dans Encore (p.62) qu'il peut inspirer des lecteurs impitoyables....Espérons que le philosophe du peuple va entraîner son auditoire dans des lectures sourcilleuses, exhaustives, et faire naître une foule de freudiens aussi érudits qu'enragés.

Mais qu'est-ce que réfuter une doctrine, une pensée, une hypothèse? Selon Popper, c'est lui reconnaître un statut scientifique: toue science se confronte à son point d'impossible, rien n'explique tout, et il y a toujours un réel qui dit non.. Mais on ne saurait qualifier de réfutation cet inventaire à la Prévert, qui met bout à bout des fragments de discours hétérogènes:l'épistémologie, le corpus, la thérapie, la politique, la doctrine et la légende n'appartiennent pas aux mêmes champs sémantiques, ne relèvent pas des mêmes critères de vérité, les griefs qui les visent ne peuvent s'additionner, ils s'empilent et s'annulent, comme dans l'argument du chaudron.

Plus véridique me semble être le lapsus des dix thèses qui en font neuf. La dixième, la thèse cachée, n'est-elle pas contenue dans "les dernières séances qui concerneront Whilhem Reich"? Pourquoi Reich, et non Jung? Celui-ci est en général chéri des philosophes pour avoir exploré l'Inconscient en se tenant à distance de "la chose sexuelle". Jung et Reich constituent, chacun à sa manière, une dérive de la pensée freudienne symétrique et opposée: l'un et l'autre désexualisent la libido, soit en la diluant dans le cosmos, soit en la ramenant au "bonheur orgastique". Avec "l'Orgonon", certes, "le somatique refoulé"fait retour... sans s'encombrer d'épistémologie, d'étiologie, ni de "capharnaüm spéculatif".

P.S. A tous: non, Alain Prost n'est pas mon cousin.


Beatriz Udenio :

Je viens de lire le JJ 41, dont j´ai bien aimé deux choses : l´accent nouveau que vous mettez sur l´acte d´écriture et le cadre, aussi nouveau, que vous en proposez: l´aide à d´autres collègues –“afin qu´ils progressent dans l´exercice du bien dire l´experience analytique”. C´est ouvrir la possibilité de faire de l´acte d´écriture un acte précédé d´une élaboration accompagnée.

Il m´a fait penser à l´ICBA (Institut clinique de Buenos Aires), oú nous proposons aux participants de s´engager à l´écriture de trois essais, pour obtenir le Diplome de l´ICBA, accompagnés par un “orientador de ensayo”. Mais, en fait, cela n´assure pas que tous les “orientadores” doivent avoir le gout de l´ecriture, ou qu´on redige bien. Donc, l´an dernier, sur la surveillance du “Colegio de graduados” -G. Brodsky et S. Tendlarz étant responsables- on a creé un “Taller de ensayos” pour aider ceux qui ont accompli le Cursus - les graduées- qui veulent rédiger des essais. Pour le 2010, on va élargir cette possibilité pour les participants qui en veulent -maintenant sous la responsabilité de trois diplomés de l´ICBA qui ont ce gout.

Ce qui anime cette proposition c´est l´idée d´un travail où on accompagne, oriente. On aide un jeune praticien dans cet exercice du bien dire, que vous soulignez.

Mais, vous posez la question à laquelle je me suis aussi intéressée: Comment élargir cela, de façon organisée, à l´Ecole?

Dans mon rapport aux collègues et à l´Ecole, on fait cela d´une façon informelle. Il y a ceux qui sollicitent cette aide, parce qu´on sait que celui-lá ou celle-ci ont un rapport vif à la pratique d´écriture, et ils deviennent interlocuteurs avec plaisir. Mais cela reste dans un circuit intime, privé.

Comme vous le dites, à l´heure de penser à la formalisation, la question à prendre en compte est complexe, mais dans tous les cas, du coté des collègues intéressés à une telle tâche, il ne faut pas seulement penser à des collègues aptes, mais il faut aussi qu’ils soient heureux de le faire.


LA FOIRE AU DESIR 1


J’AIME L’HEBREU

par Delphine Renard

Vous ne me connaissez pas, bien que je sois une lectrice assidue de vos cours, via la transcription qu'en fait depuis des années l'excellent Jacques Peraldi. J’adore cette foire au désir que constitue votre « Journal des Journées », dans lequel vous avez créé un espace de parole protégé des instances surmoïques. Je m’autorise donc à prendre la parole, et à jeter moi aussi un petit morceau dans ce chaudron bouillonnant.

J’ai envie de vous parler de ce que j’aime : l’hébreu ; et en particulier d’un tout petit mot qui m’a toujours fascinée et qui s’écrit avec les deux lettres aleph tav, que je translittérerai « ète » pour éviter toute confusion avec la conjonction de coordination « et » en français.

Les deux lettres qui le forment sont les lettres extrêmes de l’alphabet hébreu, l’alpha et l’oméga en quelque sorte... La première, aleph, de valeur numérique 1 en guématria cabbaliste, qui représente symboliquement l’unité de l’incréé et le silence de Dieu (voir le beau livre de poèmes de Claude Vigée, « le silence de l’aleph ») ; et la ternière, tav, de valeur 400, dont le graphisme serait lointainement issu d’un dessin du tau, l’équerre du charpentier, représentant la mesure de l’espace sur notre bonne vieille terre, matérielle et créée : donc le début et la fin, le germe et l’aboutissement... Il est assez logiques qu’entre autres, ce mot signifie aussi « avec », puisqu’il représente l’articulation par excellence : « iti »= « avec moi, « itekha »= avec toi, etc..

Et alors, me direz-vous ? Ce tout petit mot, qui enserre entre ces lettres extrêmes le potentiel de création signifiante de l’alphabet tout entier, sert en grammaire hébraïque à introduire le complément d’objet direct. Il apparaît deux fois dans le tout premier verset de la Genèse, « béréshite bara élohim ète hashamaïm véète haaretz » : « Au commencement, Dieu créa »… quoi ? Les cieux et la terre. Par ce petit mot, le sujet Dieu, le Dieu devenu sujet, pose face à lui son objet. Objet de quoi ? De son amour ? De son désir ? De son action en tout cas, puisque c’est un verbe qui appelle ce complément d’objet direct. Cette action peut évidemment être for diverse, qu’il s’agisse d’aimer, de créer, de détruire, de manger, de prendre, de donner, d’enfanter, de bénir… ou de dire. Autrement dit, l’énoncé de l’objet est ainsi précédé par ces défilés de l’aleph-tav à franchir, résumé de l’alphabet en tant que tel, histoire de rappeler que l’objet n’est atteignable qu’en tant que signifiant formé d’une combinaison de lettres, dont le réel nous échappe à jamais. Selon le Séfère Yetzira, un livre cabbaliste, Dieu a pris les 22 lettres de l’alphabet, les a gravées, permutées, combinées et a créé le monde avec.

Vous savez que la tora est écrite sans signe de vocalisation : « Comme tu as de belles consonnes, miss Molly ! » (Beckett). Ce qui fera la différence entre une lecture possible et une autre, c’est le souffle de celui qui, par sa voix, transforme le texte écrit en parole vivante, passant de l’énoncé à l’énonciation. Or, si au lieu de prononcer « ète », on prononce « ate » (avec la voyelle patah), notre préposition devient le mot « tu ». C’est ce que propose, entre autres, de lire le zohar (livre de la cabbale) : au commencement, Dieu a créé tu, ou toi = au commencement était la relation. Relation qui ne peut advenir entre un je et un tu que s’ils ont été séparés par un oui au langage. Sans vouloir vous encombrer, je rappellerai juste au passage que le même mot peut encore se lire comme le mot « bêche », celle avec laquelle Adam pourra retourner la terre du jardin d’Eden - je laisse le soin aux psychanalystes de filer la métaphore.

Plus intéressant encore, si l’on prononce « ote », cela veut dire « signe » : les signes que représentent pour le temps des hommes le soleil et la lune ; le signe que met Dieu au front de Caïn après le meurtre d’Abel, pour qu’il erre et traîne sa culpabilité sans pouvoir être atteint par les coups vengeurs ; l’arc-en-ciel, signe de l’alliance entre Dieu et Noé à la fin du déluge. Ce sont là en effet les premières occurrences du mot « ote » dans la tora (respectivement aux chapitres 1, 4 et 9 de la Genèse). C’était quand même gonflé : dire que le soleil et la lune sont des signes, alors qu’ils représentent le paradigme du réel selon Lacan puisque c’est bien ce qui revient toujours à la même place. Toujours cette invitation à voir, derrière la concrétude d’un conglomérat de particules, un signe qui renvoie à son créateur, comme la fumée fait remonter au feu. Ne pas se’en tenir à l’évidence de ce qui est, se dire que cela aurait pu être autrement… Ne pas adhérer aux apparences de la réalité – à ses semblants – mais au contraire s’en servir comme semblants, pour remettre du jeu, de l’espace pour l’interrogation : Ça ne va pas de soi, et c’est pourquoi il faut réciter matin et soir le « shéma Israël », dans lequel il est dit « ouqshartam léote al yadékha, véhayou létotafote beine eineikha » : « tu les attacheras comme signe sur ton bras, elles seront un signe entre tes yeux ». « Les », ce sont les versets de la tora, ce que le rituel met en acte par l’entortillement des lanières des tephilin, avec leurs petites boîtes contenant ces versets. Car le signe se matérialise ici par du signifiant, ces mots de la tora portés au plus près du corps. Lle « signe » est en effet aussi la « lettre » elle-même, c’est le même mot, « ote », en hébreu…


A paraître dans la même rubrique : « La chaussure du psychiatre. Un fantasme ».


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