19 de setembro de 2007

Tout le monde délire



Tout le monde délire

REVUE DE PSYCHANALYSE n° 67 octobre 2007
la Cause freudienne

http://www.causefreudienne.org/

Philippe Hellebois Editorial
Clinique
La conversation 2007 de Ville-Evrard « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans »
La névrose obsessionnelle
Esthela Solano L’homme aux rats
Philippe De Georges « Une pensée dont l’âme s’embarrasse »
Jacqueline Dhéret Une leçon sur le désir
Philippe La Sagna Les objets de l’obsessionnel
Serge Cottet A propos de la névrose obsessionnelle féminine
Lilia Mahjoub Hélène Deutsch, l’obsession et la jouissance féminine
Reportage
Daniel B. Smith Vivre avec des voix dans sa tête
Le séminaire de Jacques Lacan
Jacques-Alain Miller Une lecture du séminaire « D’un Autre à l’autre », L’envers de Lacan
Entretiens
Joseph Attié Mallarmé le livre
Philippe Berthier Stendhal et l’amour
Gennie Lemoine
Eric Laurent Le style interprétatif de Gennie
Jacques-Alain Miller Hommage à Gennie Lemoine
Etudes lacaniennes
Bernard Lecœur Les appuis corporels de la lettre
Christine Le Boulengé Freud plus poppérien que Popper
Lectures
Françoise Fonteneau Axel Honneth : La société du mépris
Domenico Cosenza Martin Egge : La cura del bambino autistico
Expositions
Christiane Terrisse Kiki Smith
Yves Depelsenaire Les trumains de David Hammons
Addendum

Dessin de couverture :
Joäo de Azevedo
Layout: tell&graph


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Freud plus poppérien que Popper
Christine Le Boulengé
La Cause freudienne
n° 67 (à paraître) :: octobre 2007

En avant-première, la Lettre en ligne n° 40 et la Cause freudienne vous proposent de découvrir un extrait du texte de Christine Le Boulengé, «Freud plus poppérien que Popper», à paraître en octobre, dans le numéro 67 de la revue.
On peut faire l’hypothèse que le « savant de mérite » avec qui Freud débat au début de son article de 1937, « Constructions dans l’analyse »1, est Karl Popper, qui a publié trois ans plus tôt à Vienne son ouvrage majeur, La logique de la découverte scientifique 2.
Né en 1902 à Vienne où il s’est formé en sciences et en philosophie avant d’émigrer en 1937, Karl Popper s’est d’abord frotté au marxisme puis à la psychanalyse avant de découvrir les travaux d’Einstein, d’où il tirera les fondements de son épistémologie. Cherchant à fonder la méthode scientifique en logique, il se méfiait de l’expérimentation comme procédé de vérification, en partant du principe qu’on ne trouve jamais que ce qu’on cherche et que l’expérimentation n’est pas la preuve du vrai. L’important pour lui n’est pas qu’un énoncé soit vérifié, mais qu’il résiste à la réfutation. Une telle préoccupation garde toute sa valeur aujourd’hui, notamment pour réfuter les enquêtes de type statistique, qui ne trouvent jamais que ce qu’elles cherchent. Il faut donc, pour Popper, soumettre les énoncés scientifiques au principe de falsifiabilité ou de réfutabilité, comme cela lui avait été suggéré par Einstein. Un énoncé n’est vrai qu’aussi longtemps qu’il n’a pas été réfuté, et l’attitude scientifique est celle qui cherche non des vérifications mais des tests qui peuvent réfuter la théorie, sans jamais l’établir définitivement. Par là, ce « savant de mérite » fait résolument passer les énoncés de la science au statut d’hypothèses qu’il s’agit de tester rigoureusement, pour arriver soit à des hypothèses caduques, soit à des hypothèses « ayant jusqu’ici résisté à l’épreuve ». On voit que la vérité en prend un fameux coup : elle ne peut être que provisoire et constamment soumise à l’épreuve du faux.
Ce souci de démarquer la science véritable des pseudo-sciences, d’autant plus fondé qu’il est aussi la réponse du jeune Popper à la montée de l’idéologie nazie, cette fausse science à laquelle il s’est trouvé confronté, le mène cependant à rejeter ses amis de jeunesse, le marxisme et la psychanalyse. Il qualifie en effet ces disciplines de pseudo-sciences parce qu’elle présentent des énoncés irréfutables, ce qui a pour effet qu’elles ont toujours raison. Freud résume l’argument de Popper en s’insurgeant contre ce « propos aussi blessant qu’injuste » au sujet de la psychanalyse : « Lorsque vous proposez vos interprétations à un patient, a-t-il dit [Popper], vous agissez envers lui selon le fameux principe “ Heads I win, tails you lose ” [pile je gagne, face tu perds]. C’est-à-dire : s’il est d’accord avec l’interprétation, c’est bien, mais s’il y contredit, ce n’est là qu’un signe de sa résistance et il nous donne encore raison »3. Pour Popper, les tenants de ces « fausses sciences » trouvent partout des vérifications et des confirmations du bien-fondé de leurs hypothèses, prises comme axiomes.
Ce jugement sévère qui tend à présenter la psychanalyse comme un savoir totalisant ne tient pas compte de la démarche même de Freud, qui n’a cessé de soumettre ses hypothèses à la réfutation. Pour le complexe d’Œdipe par exemple, souvent incriminé par les poppériens d’avoir réponse à tout (à l’amour comme à la haine du père et/ou de la mère), on peut noter cette petite observation de Freud en 1931, dans sa controverse sur l’expertise psychiatrique d’un homme accusé de parricide. Cette expertise a fait appel au complexe d’Œdipe pour motiver le crime. Freud dit que cette référence induit en erreur et est pour le moins oiseuse : « En raison même de son omniprésence, le complexe d’Œdipe ne saurait permettre de conclure à la paternité du crime. On en viendrait facilement à créer la situation supposée dans une anecdote célèbre : un cambriolage a eu lieu. Est condamné pour en être l’auteur un homme trouvé en possession d’un passe-partout. Après la proclamation du jugement, on lui demande s’il a des remarques à faire : il réclame à être puni également pour adultère, ayant sur lui l’instrument du délit. »4 Si l’Œdipe est un passe-partout, selon la formidable formule de Freud, et que tout le monde peut en avoir un, il faut trouver autre chose pour pincer le cambrioleur…
En répondant à Popper dans son article de 1937, Freud cherche à s’allier les scientifiques. Il défend la psychanalyse comme science, d’abord parce, n’étant guère assuré que la psychanalyse lui survivra, il veut lui donner la « respectabilité » du seul savoir qui compte sur le marché. Il limite donc son propos au statut de la construction en analyse, « construction » plutôt qu’« interprétation » qui n’est pas en odeur de sainteté dans le milieu scientifique, en insistant sur le fait que la construction n’est que le travail préliminaire et qu’il n’abordera pas la suite du travail analytique. Mais il défend aussi la psychanalyse comme science parce qu’il y croit fermement : Freud n’a jamais cédé sur le déchiffrement de l’inconscient au cas par cas, avec la ferme conviction qu’il parviendra à établir la vérité de l’inconscient pour chaque sujet en particulier. Ainsi, quand se pose la question de savoir si l’inconscient peut mentir, à partir de rêves « mensongers » qu’a faits la jeune homosexuelle, Freud conclut en observant qu’« il ne peut donc être question d’ôter sa dignité à l’inconscient, d’ébranler la confiance dans les résultats de notre analyse. »5 L’inconscient semble tenir là pour Freud la même place que le dieu d’Einstein : il est compliqué, certes, mais point malhonnête. Lacan fera un pas de plus en s’affrontant à la tromperie de l’inconscient 6.
C’est ce désir de vérité qui qualifie, me semble-t-il, le désir de science de Freud, désir de vérité qu’on trouve également à l’œuvre chez le père de la science moderne : « j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux pour voir clair en mes actions et marcher avec assurance en cette vie »7, écrivit Descartes. Freud prend les formations de l’inconscient comme un texte à déchiffrer, lettre par lettre, pour arriver à construire la vérité contenue dans ce texte. Cette vérité concerne les souvenirs infantiles refoulés qui ont décidé de la position du sujet, et qu’il s’agit de reconstruire à partir des indices « échappés à l’oubli »8, laissés par les formations de l’inconscient. C’est pourquoi Freud utilise ici le terme de construction, voire de reconstruction, plutôt que celui d’interprétation qui, dit-il, ne concerne qu’un « élément isolé du matériel, une idée incidente, un acte manqué, etc. », alors « qu’on peut parler de construction quand on présente à l’analysé une période oubliée de sa préhistoire »9. Ce travail de construction, préliminaire à l’analyse, est la tâche propre de l’analyste, celle de l’analysant étant de se remémorer. Le temps suivant, que Freud n’aborde pas dans cet article, est celui de la modification de la position du sujet.
D’où la question, que débat Freud dans la deuxième partie de l’article : qu’est-ce qui nous garantit que nous ne faisons pas fausse route et que nous ne soutenons pas une construction inexacte ? Sa réponse est surprenante en logique poppérienne …
Christine Le Boulengé
La suite dans le numéro 67 de la Cause freudienne !

1 S. Freud, « Constructions dans l’analyse », Résultats, Idées, Problèmes, Tome II, Paris, PUF, 1985, pp. 269-281.
2 K. Popper, Logik der Forschung: Zur Erkenntnistheorie der Modernen Naturwissenschaft, Vienne, 1934 (La Logique de la découverte scientifique, N. Thyssen-Rutten et P. Devaux trad., Payot, Paris, 1973)
3 Ibidem.
4 S. Freud, « L’expertise de la faculté au procès Halsmann » [1931], Résultats, Idées, Problèmes, Tome II, Paris, PUF, 1985, p.188.
5 S. Freud, « Psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine », Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973, p. 264.
6 J. Lacan, « La méprise du sujet supposé savoir », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 330.
7 R. Descartes, Discours de la méthode, 1637, première partie.
8 S. Freud, « Constructions dans l’analyse », op. cit., p. 271.
9 Ibidem, p. 273.

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